vendredi 6 mai 2011

Le Trotter Slugger, le bâton légendaire

« J’ai touché au Trotter Slugger une fois et j’ai pu prendre une photo avec lui. Elle est dans mon casier et je la bénis avant chaque match.»

- Vladimir Guerrero

Le Trotter Slugger

Le légendaire Trotter Slugger a refait récemment surface. Le souvenir de cette masse métallique a rebondi dans la mémoire des gens comme une épée déchire un Troll. Plusieurs se posent la question : d’où vient cette légende? Après de longues recherches dans les encyclopédies du baseball et de multiples entrevues avec des intervenants liés à la balle, j’ai retracé l’histoire légendaire du Trotter Slugger.

Cette histoire a débuté en 1922. Bien que les bâtons utilisés dans les Majeures étaient tous en bois, plusieurs propriétaires d’équipes mineures pensaient les remplacer par des bâtons de métal, nettement plus solides, durables et surtout moins coûteux. Le questionnement dura quelque temps puis on annonça la création d’une série de bâtons de baseball en aluminium de marque Louisville Slugger.

Ces bâtons étaient fabriqués à Louisville au Kentucky où on retrouve une usine d’aluminium. Mais le dirigeant de l’endroit voulait aider la nouvelle usine Alcan d’Arvida au Saguenay qui allait justement ouvrir. Bien que la production s’amorça au Kentucky, c’est à Arvida qu’est fabriqué le Louisville Slugger unique, le bâton des bâtons, conçu à partir de la première coulée d’aluminium d’Alcan.

La légende dit que Babe Ruth et Ty Cobb brillaient par leur présence lors de cette coulée historique. Mais ce qu’on ignore, c’est que l’arrière-grand-père de Martin Trottier, Herchmans Trottier, était aussi sur les lieux. Celui-ci représentait les employés d’Alcan. Dès la fabrication, il signa un contrat d’exclusivité pour que le bâton demeure dans la famille Trottier.

Pour créer le bâton, on avait importé de la bauxite du Venezuela. Le grand-père d’Andres Galarraga s’était d’ailleurs assis sur la montagne de bauxite ayant servi à cette coulée d’aluminium. Déjà, la puissance de la frappe avait envahi le bâton.

Le bâton fit le tour de l’Amérique, il fut touché par les grands baseballeurs : Joe DiMaggio, Lou Gehrig, Willie Mays, Jackie Robinson et Ted Williams, pour ne nommer que ceux-là. On raconte même que Marilyn Monroe, alors épouse de Joe DiMaggio, aurait mis la « batte » sur sa poitrine. De quoi faire rêver le Président Kennedy.

Après avoir parcouru les stades à titre d’emblème international du baseball, le bâton revint à ses propriétaires; la famille Trottier. Le petit-fils de Herchmans, Berchmans Trottier, le reçut en cadeau. Il le conserva dans un coffret de sécurité dans sa propre chambre. Quand il jouait avec ses copains, il utilisait la « massue ». Il n’hésitait pas une seconde à la prêter à ses amis qui désiraient aussi jouer, mais également se faire photographier avec le bâton.

Puis vint la tragédie de 1972. Le futur père de Martin est victime d’un cambriolage à sa résidence d’Arvida. Les voleurs savaient ce qu’ils voulaient : le Louisville Slugger unique, le père de tous les bâtons métalliques. La police enquêta, mais ne trouva aucune piste. Ce n’est pas seulement les Trottier qui sont sous le choc, mais toute la planète baseball.

Carl Yastrzemski, vedette des Red Sox de Boston, affirma que ce vol était l’un des crimes les plus odieux à ne jamais avoir été perpétré. À la direction des jeunes Expos de Montréal, on est aussi atterrés. Claude Raymond dit que le Louisville Slugger unique était ce qui l’avait encouragé à percer dans le baseball pour devenir un prodigieux lanceur de relève dans les Majeures. « Il était le modèle à battre, je voulais toujours être plus fort pour vaincre le bâton des bâtons. »

L’ancien lanceur professionnel et détenteur d’une bague de la Série mondiale avec les Giants de New York (aujourd’hui San Francisco), Ruben Gomez, visitait régulièrement le Saguenay. Son havre de paix, le club de golf le Ricochet. Il avait déjà discuté du Louisville Slugger unique avec Berchmans. Gomez lui avait glissé que certains individus aux États-Unis étaient prêts à débourser des millions pour le bat des bats. Il avait suggéré à M. Trottier d’assurer le bâton. Mais ce dernier refusa, se fiant à l’honnêteté des fans de baseball.

Berchmans s’en mordait les doigts jusqu’au sang. Il pleura, ragea, maudit sa mauvaise étoile puis retrouva un semblant de vie normale. En 1975, Martin, qui sera plus tard connu sous le nom du Slug, naquit dans un hôpital de la Rive-Sud de Montréal. La famille était déménagée dans le coin de la métropole, histoire d’oublier la mésaventure.

Jean-Patrick suivit Martin comme deuxième fils de Berchmans. Malgré l’agrandissement de la famille et des moments de bonheur, le bâton n’avait pas été oublié. Les Trottier revinrent au Saguenay en 1990. Le père opérait la compagnie Public-Sac Saguenay. Dans chacun des sacs, il ajoutait un petit avis de recherche qui demandait ceci : « Où est le Louisville Slugger unique? »

C’est deux années plus tard que l’histoire refit surface. Un armurier du gouvernement américain s’apprêtait à fabriquer des balles pour l’arme de destruction massive qui éliminerait toute attaque terroriste dans un éventuel attentat monstre. À court de métal, l’homme fouilla dans un kiosque d’objets perdus au Camden Yards, stade des Orioles de Baltimore.

De retour à son atelier, il remarqua que ce bâton avait quelque chose de particulier. Il sentait que le bâton lui adressait la parole. « Ramène-moi à la maison », s’écria le Louisville Slugger. L’homme, surpris, répondit au bâton qui lui raconta son histoire. L’armurier prit la décision de renvoyer le bâton à son propriétaire. Peut-être aurait-il évité que le 11 septembre 2001 devienne ce qu’il est devenu s’il avait utilisé le bâton unique…

En septembre 1992, un camion Purolator arriva en face de la résidence Trottier. Le livreur sonna à la porte. Martin répondit. La légende revenait à la maison. Cela coïncida avec trois grandes années des Expos à Montréal jusqu’à la grève de 1994.

C’est en 1994 que le Louisville Slugger unique changea d’appellation. Pour honorer son propriétaire, le baseballeur Christian Deschênes, flanqué de Marc Lapierre, eut l’idée de rebaptiser le bâton qu’il avait emprunté à Martin Trottier. Avec un crayon-feutre unique, il inscrit TROTTER SLUGGER.

La légende venait de renaître et Martin acquit le surnom de Martin Trottier, dit le Slug, ou Slugging Time. Maintenant, sa réputation le précède et tous les gens croisant le Slug pour la première fois s’inclinent devant la légende qu’il a en sa possession.

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