Été 2018, il fait chaud. Nous habitons tout près d'un terrain de golf, à dix secondes de marche en fait. Quelques fois par été, les enfants et moi allons nous balader sur le terrain, ramassons des balles, admirons la nature et voyons quelques joueurs au passage. Des promenades agréables.
Mais ce bonheur est loin d'être inné. J'ai toujours trouvé ce sport plate à regarder à la télévision. Un ami me disait, c'est plate à regarder, mais c'est le fun de jouer. Cet ami jouait déjà avec son père et son grand-père sur quelques terrains du Saguenay.
La bécane disparue
Été 1991, cet ami frisé me propose l'idée d'aller au club de golf Saguenay pour ramasser des balles. Nous partons donc à vélo avec un autre ami et nous nous rendons au terrain. Nous laissons nos bécanes dans un petit bois, à l'abri des regards, et nous marchons sur une partie du parcours. On marche beaucoup dans les bois et on garde les balles que l'on trouve.
Nous avons pu aider un golfeur à retrouver sa balle, mais quelques minutes plus tard, une responsable des lieux nous a demandé de quitter, avec un tact peu légendaire, car nous n'avions pas le droit de nous trouver là. C'est vrai, comme un intrus ne peut pas se trouver sur un terrain de baseball sans permission pendant un match. Mais quand tu ne fais pas de mal, qui peut bien t'empêcher de marcher un terrain de golf? Bref, nous quittons.
Nous retournons à nos vélos... et coup de théâtre! Ils ont disparu. Nous sommes pourtant à la bonne place. Le stress nous envahit, nous allons à la réception demander si des vélos ont été retrouvés. Je blague en disant que mon vélo valait très, très cher... c'est-à-dire pas grand chose. Le père de troisième gars qui était avec nous vient nous chercher et nous amène au poste de police pour signaler le vol. Chacun avons un numéro d'assurance et nous repartons à la maison.
Mon vélo avait 4 ans, mais celui de mon ami frisé était tout neuf. Ses parents étaient furieux. En plus, ils ne m'aimaient pas trop. Je parie qu'ils ont toujours cru que c'était moi qui nous avais entraînés là-dedans. Quelques jours plus tard, j'avais un nouveau vélo... et lui aussi. Des assurances, ça aide. Sauf que le golf m'avait envoyé son premier avertissement.
Une première fois
Je n'ai joué au golf que la première fois (je crois) en 1996 au Club le Ricochet de Chicoutimi où travaillait mon ami Jean-Sébastien Roy (le politicien, pas le directeur). Un sympathique petit 9 trous pour petits et grands. Martin Martel, un autre ami, m'avait invité à jouer pour ma fête. Je ne me souviens plus qui a gagné, mais on a eu du plaisir. Nous avons aussi eu du plaisir à jouer à frapper quelques balles de pratique sur le boulevard du Royaume à Jonquière.
En 1998, avec les parents de l'équipe de baseball que j'entraînais avec mes amis Jean-François Marceau et Jean-Sébastien Roy (le directeur), j'ai fait un premier «vrai» parcours. Un 9 trous, mais le gros 9 comme on le surnommait au Ricochet. Je pense que j'ai roulé 70. Mauvais... mais pour une première fois, pas grave. J'en ai perdu des balles.
Puis silence radio jusqu'en 2002. J'enseigne à Mascouche et comme activité de fin d'année, je décide d'aller golfer avec des élèves de ma classe. Ils sont avertis, je suis mauvais. Ils m'avertissent, ils le sont aussi. Je leur paye un sceau de balles pour pratiquer leurs coups de départ. Des collègues avaient enseigné les codes vestimentaires du golf (première fois que j'entendais ça): chemise ou chandail à col. Bahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh! Pas sérieux. Heureusement, mes collègues nous avaient rassurés disant que la direction du club de golf ne devrait pas en faire un plat.
Le timbré
À mon retour au Saguenay pour les vacances, je vais jouer une ronde de golf avec un (autre) ami, Carl «Billy» Lamontagne. Encore au Ricochet. C'est là que mon dégoût du golf atteindra son paroxysme. Avec nous, le beau-frère de Carl, Daniel. Nous commençons vers 10h30, on s'amuse, Carl domine, je joue pour une 3e fois et Daniel a l'habitude de jouer avec Carl. Daniel et moi s'échangeons les mauvais coups. Vers le 6e ou 7e trou, le tonnerre descend du ciel. Carl, Daniel et moi jasons et rions en marchant vers le trou suivant. Un type, visiblement déconcentré lors de son coup de départ (ou prenant ça très au sérieux) nous pète une coche solide (langage d'ado). Il descend les saints du ciel, nous traite de nom à ne pas répéter. Carl, qui n'a pas l'intention de se faire marcher sur les pieds, lui répond qu'il existe une manière de parler aux gens correctement. L'homme, remis à sa place, ne sachant plus trop quoi dire, nous demande de jouer au golf. Jouer au golf... c'est ça le problème. On ne joue pas au golf quand, pour le fun, on pète une coche à d'autres gens qui sont là pour le fun. Depuis ce jour de l'été 2002, j'ai complètement banni l'expression
jouer au golf. Tu ne joues pas golf, tu golfes. Point. On déshonore le fait de jouer en employant ce verbe dans la même phrase que golf.
De retour au travail, je discute de la situation avec un collègue. Il défend l'attitude médiocre du trou de beigne ayant fait sa crise. «C'est un sport sérieux, un sport de concentration. C'est de même.» Ok, j'ai compris, de chemise propre et chandail à col aussi.
Je golfe deux autres fois en juin 2003. Une nouvelle fois avec les mêmes élèves que l'année précédente et une dernière fois avec les collègues. C'est lors de cette partie que je réussirai ma seule normale à vie lors d'un trou. Un beau 4. Mon collègue Carlos est moins bon que moi, ça permet de sortir la tête haute.
Anecdote
Carlos était un chic type mais aussi un petit cachottier. À la veille d'un tournoi de billard entre collègues, il m'a demandé de jouer avec lui. «Je ne sais pas jouer», lui dis-je. «Moi non plus», me répondit-il. Nous commençons le tournoi, nous gagnons un match, puis un autre, puis encore un autre. En finale, nous remportons les honneurs. J'y crois pas. Mes collègues sont plus mauvais que nous, c'est certain. Le vilain garnement Carlos vient me voir le lendemain dans mon local de travail avec des photos de lui... et la table de billard qu'il a construite. Le gars devaient jouer 72 parties par soir dans sous-sol avec ses amis latinos!!!!!!!!!!!!
Une dernière fois
Je ne crois pas golfer de nouveau avant 2006. Mes amis de baseball du Saguenay organise un tournoi de golf comme activité bénéfice pour leur équipe. Encore une fois, ça se passe au Ricochet. Je ne suis pas certain de jouer, je branle dans le manche. Les gars m'appellent à la maison vers 8 heures et m'offrent la chance de jouer. «Ok.» Mais je ne suis pas pressé à me rendre si bien que j'arrive vers 11 heures au terrain. «Chris, tu as failli manquer le dernier départ.» Bof, le golf est déjà chanceux d'exister, il peut remercier le ciel que je sois présent. Je crois battre mon record de 70 au Ricochet.
C'est la dernière fois que j'ai golfé jusqu'à aujourd'hui. Même quand des amis et collègues me proposaient de faire une ronde de golf avec eux lors des partys de fin d'année scolaire, je préférais aller marcher avec mes collègues, grandes dames de l'enseignement.
Vivre près d'un terrain
Fin 2009, ma conjointe et moi aménageons dans une maison nouvellement construite tout juste à côté du terrain de golf les Vieux Moulins. Une belle occasion pour moi de me «venger» de ce fou furieux qui nous avait injuriés il y a quelques années serait me procurer une vuvuzela (rendue populaire lors du Mondial 2010 en Afrique du Sud) et claironner chaque fois qu'un joueur s'élance. Je commande ladite vuvuzela, mais elle ne se rend jamais à destination. L'étiquette est saine et sauve.
Je décide plus tard de mettre de ma hantise du golf de côté et je vais prendre des marches avec ma fille sur le terrain, histoire de profiter de la nature, des beaux animaux en liberté (chevreuil) et sympathiser avec les golfeurs. Parce que cet imbécile qui nous avait engueulés comme du poisson plus pourri que lui semble ne pas être la norme dans ce sport. Par exemple, ma fille et moi sommes assis au départ du 6e trou et un homme lui donne une balle rose. Ma fille est ravie.
Ma mère en visite en profite même pour ramasser quelques pommes dans les pommiers pour en faire des tartes et de la compote. Vraiment, nous sommes heureux de vivre à proximité d'un terrain de golf. Surtout, nous n'avons pas de voisin.
Notre fils naît en 2013 et dès qu'il est capable de marcher, il vient se promener sur le terrain lui aussi. Mais chers amateurs de golf, ne vous en faites pas, nous n'allons briser le terrain ou voler des drapeaux, nous profitons de la nature et ramassons des balles. Anecdote drôle, ma tante et ma mère ont décidé un beau soir de prendre une marche sur le terrain avant d'être prises par la pluie. Elles sont revenues à la maison trempées!!! Elles en parlent encore.
Si nos intentions sur le club sont pacifiques, ce n'est pas le cas de tous. Des intrus, visiteurs du soir et autres malfrats se plaisent à venir jouer quelques trous sans payer... et après 19 heures, car le CLUB ferme à cette heure. On voit même un type revenir régulièrement si bien que la direction du club a décidé depuis deux ans de mettre une pancarte assez expéditive: ENTRÉE INTERDITE. Les contrevenants seront POURSUIVIS. Bon, ça me va. C'est carrément du vol quand tu vas faire quelques trous sans payer une cenne, surtout que ce terrain est sur le «respirateur artificiel», comme le disait un défunt collègue. Pour ma part, je ne me sens pas visé. J'y vais avec les enfants, trois ou quatre fois par été, avec prudence, sans jouer, en respectant les lieux et admirant la beauté de la nature. Et de plus, que peuvent-ils bien nous faire à part: «Veuillez svp quitter les lieux»?
Cet été, nous avons fait beaucoup de rénovations dans la maison. Les enfants ne se contentent pas toujours de regarder la télé ou de jouer dans la cour, surtout mon fils. Or, il m'a demandé d'aller au golf une fois, deux fois, trois fois et plus. Avec cette chaleur de fou cet été, peu de joueurs se promenaient sur le terrain. Alors, on en a profité pour ramasser beaucoup de balles. Mon fils était très heureux. Puis, le petit homme d'affaires qu'il est a même décidé de ramasser des canettes vides histoire d'aller les échanger au dépanneur. Il essaie même d'échanger des balles avec des joueurs et des joueuses qu'il regarde de façon intéressée. Un homme lui propose même d'essayer de taper une balle. Il ne se fait pas prier.
L'unilingue de souche
Un beau samedi soir, cependant, un jeune employé du terrain nous aperçoit à bord de sa voiture. Il vient nous saluer, mais nous rappelle que nous ne pouvons pas se trouver sur les lieux. Je lui réponds que je le sais, mais que nous n'enfreignons pas de règle directe, soit de jouer sans payer. D'ailleurs, je lui mentionne que je peux «stooler» les contrevenants. «Je sais, j'en ai déjà pogné», me dit-il. «Comme vous ne faites que marcher, je vous salue.» Il quitte, nous étions sur le chemin du retour de toute façon. Première fois en 5 ans que l'on croise un employé de ce CLUB. Ça prendra sûrement 5 ans avant d'en revoir un autre.
J'avertis mon fils qu'il faudra quand même être prudent. Si ce jeune homme a été sympathique, il va sûrement rendre compte de ce qu'il a vu lors de sa tournée et ses patrons seront au courant qu'un père et son fils marchent sur leur terrain.
Nous y retournons une ou deux fois et puis la dernière fut cependant... disons fatidique. Après une grosse pluie, mon fils demande encore d'aller au golf. Bonne idée, il n'y aura presque personne, il vient de pleuvoir fort. Il apporte son sac d'épicerie pour ramasser des balles et des canettes. Au loin, nous voyons une voiturette. Le gars semble jouer, mais passe quelques moments sur le bord des arbres, puis il rejoue. Il frappe une balle et nous la voyons atterrir. Nous nous approchons et j'explique à mon fils qu'on ne peut pas toucher cette balle, ni même la donner au joueur, car il doit jouer la balle là où elle s'est arrêtée. Le type porte des écouteurs, une veste rouge, visiblement, il ne respecte pas le code.
Et là, il part... et en anglais svp. Je vais traduire.
«C'est une propriété privée ici. (Ah ouais, je ne vois pas souvent le proprio). Vous êtes en présence d'un enfant et c'est très dangereux (Dieu merci, je ne suis pas sur un champ de tir). Pour votre sécurité et celle de votre enfant, vous devez quitter. (Dis-le donc que tu as peur que je démolisse le terrain). Je sais ce que je dis, je travaille ici. (Ayoye! Deuxième fois en 5 ans - même 9 ans - que je vois un employé.)
Comme l'homme parlait [juste] en anglais, mon fils n'a rien compris. Il ne voulait pas quitter, pour lui, c'est une partie de plaisir. Pour moi aussi. Il a fallu que je lui explique plusieurs fois avant de le convaincre de quitter. Pas facile pour moi de faire valoir mon point de vue en anglais avec une bête féroce, surtout que je suis fondamentalement dans le tort.
La réalité est que oui, nous n'avons pas le droit d'y être. Pas besoin d'être un astronaute pour savoir ça ni de porter un chandail à collet. Mais quelle insulte de se faire parler en anglais, au Québec, par un employé visiblement unilingue et qui se fout complètement de la langue que je parle. Cet employé du terrain, où j'avais quasiment envie de jouer, m'a projeté au visage ce pourquoi je détestais le golf: attitude hautaine, le code vestimentaire (même pas respecté par l'employé) et cette manière de s'adresser aux gens (rappelons-nous l'épisode de ce fou brack en 2002). Un bonjour pour démarrer une conversation est toujours plus apprécié et ça permet de détendre l'atmosphère à la veille d'un avertissement. Cet homme, qui n'a sûrement pas reçu une éducation adéquate, a préféré utiliser un ton méprisant même s'il a voulu se faire le porte-parole de la sécurité. Je connais assez le golf pour comprendre qu'on ne se place pas entre un joueur et le trou. Je connais aussi assez la vie pour éloigner mon fils du danger (je ne veux même pas qu'il sorte en avant de la maison sans être accompagné). Pas besoin d'une morale à deux cennes.
Quelques minutes plus tard, à notre retour, je regardais la page Facebook du CLUB. Un client mentionnait l'an dernier que le personnel était RUDE. Il a dû rencontrer mon anglophone avec ses écouteurs et sa veste rouge.
Je crois que nous avons visité le terrain une dizaine de fois lors du mois dernier. Il est possible que les joueurs, ravis d'avoir rencontré un jeune et son père, en aient parlé aux employés, sans oublier le jeune employé que nous avions croisé quelques jours auparavant. Le RUDE homme s'est sans doute donné pour mission de nous arrêter et de nous expulser, car il n'arrivait plus à trouver des balles et que le terrain avait trop de mauvais herbes, sans doute à cause de nous.
Tout ça ramène à cet avertissement qui mentionne que l'entrée est interdite sous peine de POURSUITE. Une poursuite. Ha! Ha! Ha! Ha! Si je me fie à l'écriteau, j'attends une poursuite d'ici quelques jours.
Voilà, j'ai voulu entreprendre des moyens pour aimer le golf en déménageant tout près d'un terrain, en profitant de la nature qui s'y trouve, j'ai presque voulu jouer, mais le golf, lui, s'est chargé de me rappeler de ce qu'il est et qu'il sera toujours pour moi: répulsif.
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Dans un article de Radio-Canada datant de 2014, on explique que le Regional Group (d'Ottawa) du propriétaire Steve Gordon qui exploite le terrain pourrait être expulsé à tout moment, car le zonage permet de construction des habitations sur le terrain. Un ami habitant tout près, qui est cité dans le texte, dit qu'il a même déboursé 40,000$ pour avoir une maison près du terrain.
Mais en 2015, un juge de la cour d'appel a donné raison au groupe de Steve Gordon.
Un juge devrait aussi l'obliger à employer des anglophones de souche capables de s'adresser aux gens en français. Le président d'Impératif français, monsieur Jean-Paul Perreault, aurait sûrement du plaisir avec monsieur Gordon. D'ailleurs en 2010, sur le site d'Impératif français, un texte parlait des clubs de golf du secteur Aylmer où on prenait un malin plaisir à ne communiquer aucune information en français sur leur page web. Évidemment, les Vieux Moulins en faisait partie.
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En terminant, nul doute que nous y retournerons.